Ou comment réfléchir en toute liberté sur la liberté d’expression
par François Héran
Comment enseigner la liberté d’expression? Par son histoire, propose François Héran, moins républicaine qu’on ne croit et plus respectueuse des croyances. Au lieu d’en faire un absolu, il est temps d’observer que ses conditions d’exercice se déploient dans un temps et un espace déterminés.
Des professeurs d’histoire-géographie m’ont consulté au sujet du cours d’éducation civique et morale qu’ils devront dispenser à l’issue des vacances de la Toussaint. Comment rendre hommage à Samuel Paty, odieusement assassiné le 16 octobre par un jeune djihadiste tchétchène parce qu’il avait commenté en classe des caricatures de Mahomet? Quel sens donner à la liberté d’expression? Comment défendre les valeurs républicaines sans nous isoler du reste du monde? Certes, les enseignants bénéficieront du «cadrage» préparé par l’Éducation nationale. Certes, ils pourront s’inspirer du fervent hommage rendu par le président Macron dans la cour de la Sorbonne. Et, s’ils le souhaitent, ils pourront revenir sur la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs. Mais, si la liberté d’expression nous est chère, nous devons pouvoir lui appliquer aussi notre libre réflexion, à condition de l’appuyer sur des données avérées. C’est le sens des conseils que je me permets de donner ici.
Retour aux textes
Premier conseil : faire découvrir aux élèves des textes «républicains» restés un peu dans l’ombre ces derniers temps. Plus souvent citée que lue, la lettre de Jules Ferry aux instituteurs posait des limites à l’enseignement de la morale : «Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire; sinon, parlez hardiment» (17 novembre 1883). En pleine discussion de la loi sur l’obligation scolaire et la laïcité de l’école primaire publique, Ferry était allé plus loin encore : «Si un instituteur public s’oubliait assez pour instituer dans son école un enseignement hostile, outrageant pour les croyances religieuses de n’importe qui, il serait aussi sévèrement et rapidement réprimé que s’il avait commis cet autre méfait de battre ses élèves ou de se livrer contre eux à des sévices coupables.» (11 mars 1882). Vous avez bien lu : outrager les croyances religieuses des élèves, c’est aussi grave que de leur infliger des châtiments corporels ou abuser d’eux.
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