In : Cultures & Conflits, n° 122, 2021/2. – 206 p.
Ce dossier, tiré pour partie du programme de recherche franco-allemand ProsCrim (ANR-DFG), vise à éclairer la manière dont les politiques de lutte contre la traite à des fins d’exploitation sexuelle se déclinent, entre pratiques institutionnelles et expériences individuelles, pour produire et consolider les figures de la « victime » et de l’« exploiteur ». À partir de données empiriques (observations, entretiens, analyse de dossiers), il s’agit de proposer une analyse croisée des différents « intermédiaires » de l’action publique qui contribuent à « faire exister » la traite et à façonner les formes de régulation mises en œuvre pour y répondre : professionnels du régalien (policiers et magistrats en particulier), acteurs sociaux (et notamment associatifs), mais aussi plus largement passeurs de frontières (physique ou administrative) et experts de la traite.
L’attention accordée aux valeurs, affects et croyances normatives de ces acteurs en interaction, et aux circulations entre eux de savoirs et de pratiques dépassant les traditionnels clivages entre acteurs publics privés, répressifs ou assistanciels, esquisse ici les contours d’une construction collective de la traite comme problème social. Sont ainsi mis en lumière, au fil des textes, non seulement le virage punitif des politiques de lutte contre la traite, inscrites dans un objectif de préservation de l’ordre public et largement dominées par un objectif de sanction pénale, mais aussi les implicites genrés, sexualisés et racialisés du « féminisme carcéral » qui les sous-tend, et que l’éclairage états-unien proposé en fin de dossier permet de mieux appréhender.